L’agroécologie est devenue, grâce à Mariam Sow de l’ONG ENDA PRONAT et ses partenaires de la société civile au Sénégal, une priorité dans le pays. Avec le projet global Centre de Connaissances de l’Agriculture Biologique en Afrique de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, elle participe à collecter les connaissances paysannes et les met en lien avec la recherche scientifique sur l’agriculture écologique et biologique. C’est primordial pour convaincre les sceptiques. Et pour montrer aux jeunes une alternative, car il.elle.s se détournent de plus en plus de l’agriculture. Mariam Sow (68 ans) est née dans une famille d’agriculteur.rice.s. Après l’école, elle a rejoint ENDA Thiers Monde, l’organisation mère de ENDA Pronat. Elle y est maintenant directrice générale. Elle a fait campagne pour sensibiliser aux dangers des pesticides et a pris comme modèle les méthodes agricoles durables utilisées par les agricultrices. En 2001, elle a fondé le Réseau National des Femmes Rurales du Sénégal (RNFR), qui compte aujourd’hui environ 100 organisations et environ 36 000 agricultrices à travers le pays. Elle nous raconte.
Quelle est votre conception de l’agroécologie pour le Sénégal ?
La terre est dénudée, plus encore maintenant, due à l’utilisation non contrôlée abusive des pesticides, des herbicides, qui affectent la santé humaine, la santé animale, la santé environnementale à travers leur utilisation, consommation et le manque de moyens de contrôle.
« Nous sommes dans l’obligation, au niveau des pays sahéliens et du Sénégal en particulier, de changer de paradigme, d’avoir une autre approche qui redonne la vie à la terre. »
Donc, au vu de tout cela et au vu du changement climatique, nous sommes dans l’obligation, au niveau des pays sahéliens et du Sénégal en particulier, de changer de paradigme, d’avoir une autre approche qui redonne la vie à la terre, qui remet l’environnement dans son état, qui remarie l’agriculture à l’élevage, qui ramène l’arbre à sa place au niveau de la vie paysanne. C’est cette agriculture paysanne que nous devons promouvoir, en nous fondant aussi sur les valeurs, le savoir-faire paysan, mais aussi avec l’accompagnement scientifique. L’agroécologie est un autre modèle de vie, un autre projet sociétal que nous sommes obligé.e.s de porter.
Vous qualifiez l’agroécologie de « projet sociétal » et vous avez dit que le mouvement de l’agroécologie a émergé dans la société civile, pour arriver ensuite au niveau gouvernemental. En quoi est-ce un succès pour vous ?
On a commencé à en parler depuis le début des années 80 pour dire : « Halte, attention ! » Les gens avaient des difficultés à nous croire en disant : « L’Afrique a faim, il faut des engrais, il faut des pesticides. » C’était difficile, mais il fallait percer. On a informé, on a sensibilisé, mais on nous a toujours dit que c’était impossible. Et pourtant, 60 ans après les indépendances, en utilisant ces engrais et ces pesticides, on continue à poser le problème de la souveraineté alimentaire. Donc, il y a la question du changement et petit à petit, nous avons assisté à la démultiplication des organisations paysannes sensibles, si je prends pour exemple le cas de la Fédération Nationale pour l’Agriculture Biologique (FENAB). Nous avons eu des organisations paysannes, au niveau de la recherche, les collectivités locales. Et à partir de 2020, nous avons créé un groupement de tous ces acteurs. Donc, toute cette dynamique s’est retrouvée ensemble autour d’une dynamique qu’on appelle la DYTAES, la « Dynamique pour la transition agroécologique ». Le président actuel avait dit en 2019 qu’il ferait de l’agroécologie, face au changement climatique, une priorité de son quinquennat. Cette dynamique a mis en place des « caravanes » dans toutes les régions écologiques du Sénégal, repéré les initiatives qui sont en place, repéré les difficultés qui sont en place, et nous avons produit un document de contribution que nous avons remis à l’État du Sénégal. Nous avons cherché à instaurer un dialogue politique entre nous et le ministère de l’Agriculture. C’est tout cela qui doit constituer le gros du changement.
Est-ce que vous êtes satisfaite avec la situation actuelle ?
Ce n’est pas évident, mais ça avance. Depuis l’année dernière, il commence à subventionner les engrais organiques pour les producteur.rice.s. Nous avons mis en place d’autres structures au niveau local, parce que nous sommes convaincu.e.s que c’est la base aussi qui doit changer. Le DYTAEL, des « Dynamique pour la Transition Agroécologique Locale » c’est pour permettre aussi aux communautés locales de négocier avec les politiques locales, pour aussi changer. Ce dialogue entre l’État et la DYTAES doit être renforcé aussi par ce dialogue au niveau de la politique internationale, parce qu’aussi, en partie, tout dépend d’elle.
Est-ce que le Sénégal peut servir d’exemple pour les autres pays africains ?
En tout cas, au niveau de l’approche agroécologique, le Sénégal, au niveau de la société civile et de ce que nous sommes en train de faire avec l’État et les ministères, constitue un levier de taille. Parce que les journées agroécologiques, on les fait aussi avec les autres pays, on les invite. Nous sommes aussi membres d’autres alliances, comme la 3AO (Alliance pour l’Agroécologie en Afrique de l’Ouest) à l’échelle sous-régionale. Et on cherche aussi à avoir un dialogue avec les institutions sous-régionales, la CEDEAO par exemple, pour aussi que ces institutions-là aillent dans notre sens et portent aussi ce message-là.
Vous collaborez avec le projet de la GIZ « Centre de Connaissances de l’Agriculture Biologique en Afrique ».
Oui, nous avons un appui de taille de la GIZ avec trois organisations au Sénégal (ENDA PRONAT, FENAB et AGROECOL Afrique), mais avec aussi d’autres pays et régions sur la gestion des connaissances. Le travail marche bien, nous sommes en train de travailler sur les connaissances endogènes, donc de faire ressortir ces valeurs paysannes et en même temps aussi les connaissances scientifiques. On fait aussi des formations avec la FENAB, par exemple des formateur.rice.s des multiplicateur.rice.s à l’échelle nationale. Il y a aussi d’autres pôles au niveau de l’Afrique centrale, le Maghreb, c’est avec cette région que nous faisons aussi des échanges avec l’appui d’IFOAM pour que ces connaissances répertoriées puissent être diffusées le plus largement possible. En négociant avec l’Etat, par rapport au problème de la souveraineté alimentaire, nous disons que notre politique agricole doit reposer sur l’agroécologie. L’Etat nous dit : « montrez-moi les preuves ». Donc nous cherchons aussi à ce qu’il y ait une suite pour que ces connaissances répertoriées soient utilisées dans la mise en œuvre au niveau des DYTAEL par exemple, dans certains pays au niveau des autres organisations paysannes pour faire ressortir aussi des résultats.
Et ça marche ?
On n’en est pas encore là. On aura des évidences. Mais les paysan.ne.s aussi vont dire : voilà nos greniers, on est autosuffisant.e.s, on arrive à nous nourrir, on arrive à transformer, à vendre. Et c’est comme ça qu’on va changer, c’est comme ça qu’on pourra être à égalité autour des tables de négociation. Je dis encore, et je le répète, que l’Afrique, avec tout ce qu’elle a comme richesse, son foncier, cette jeunesse qui se cherche, nous devons aller vers des politiques communes. Nous devons faire de l’agriculture écologique, l’élevage et la pêche des métiers créateurs d’emplois sur toute la chaîne. Certain.e.s vont produire, d’autres vont transformer, certain.e.s vont vendre. C’est un projet comportant une nouvelle vision.
Comment motivez-vous la jeunesse à retourner vers l’agriculture ?
De notre côté, nous suivons une démarche qu’on appelle l’approche village. Donc, nous sommes dans le terroir, avec des équipes un peu partout, avec des communautés, et on recherche à faire une lecture globale du terroir. Donc, on ne se limite pas seulement à théoriser, on pratique aussi. Et là, si on applique l’approche village, on a des jeunes qui sont restés là et on a des femmes. Et on fait des aménagements.
« Ce qu’on craint, c’est que nos jeunes, qu’on a tellement découragés, auxquels on a répété que l’agriculture n’est pas rentable, veuillent partir. »
Et nous devons voir aussi comment atténuer le travail de l’agriculture écologique, parce que si on le dit, on arrête de mettre des herbicides sur le riz, parce que le désherbage est dur, il faut scientifiquement prouver d’autres alternatives. Il faut trouver des outils qui permettent de diminuer le désherbage, pour qu’aussi l’agroécologie ne soit pas une agriculture dure et que la jeunesse la rejette. Et ce qu’on craint, c’est que nos jeunes, qu’on les a tellement découragés, auxquels on a répété que l’agriculture n’est pas rentable, et qu’ils veuillent partir. Mais en même temps on dit que la population va augmenter, qu’il faut produire plus. On risque de créer encore le retour des multinationales qui vont chercher – ils ont déjà tenté, mais il y a eu des résistances – à accaparer des terres, ils vont chercher à grandir, à avoir de grandes cultures, à polluer nos eaux, à mettre des engrais. La pauvreté va encore incrémenter, les gens vont devenir encore plus pauvres, et devenir une main d’œuvre dans leur propre terroir. C’est ça aussi qu’on évite.
Claudia Jordan